[Interview] « Les institutions de microfinance sont des acteurs clés pour renforcer la résilience des petits producteurs »

Interview avec Paul Delaunois, Responsable du programme « Agriculture résiliente aux changements climatiques » de ADA.
Quel rôle les institutions de microfinance peuvent-elles jouer concrètement pour soutenir les petits producteurs béninois face aux impacts des changements climatiques ?
Au Bénin, les petites exploitations agricoles familiales représentent 90 à 95 % des producteurs et cultivent 70 à 80 % des surfaces agricoles. Elles constituent le socle de la production alimentaire et jouent un rôle central pour la sécurité alimentaire. Cependant, elles restent très vulnérables aux aléas climatiques, qui dégradent les écosystèmes, réduisent les rendements et fragilisent les revenus.
Les institutions de microfinance (IMF) sont des acteurs clés pour renforcer leur résilience. En proposant des produits financiers adaptés, elles permettent aux agriculteurs de couvrir leurs coûts de production et d’investir dans l’adaptation. Cela se traduit par des crédits de campagne adaptés aux cultures et au contexte, des assurances contre les risques climatiques ou encore un appui à l’adoption de pratiques durables. Les IMF jouent aussi un rôle important dans l’éducation financière et la diffusion d’informations sur les risques climatiques, contribuant à sécuriser les revenus et à accompagner la transition des exploitations.
Est-ce que le projet permet déjà de voir émerger des pistes intéressantes, des pratiques ou des innovations du côté des institutions de microfinance partenaires ?
Nous accompagnons cinq IMF dont une grande partie du portefeuille est dédiée à l’agriculture. Face à la multiplication des aléas climatiques - sécheresses, pluies irrégulières, inondations ou vagues de chaleur - les petits exploitants peinent à rembourser leurs crédits, ce qui accroît les risques pour les IMF.
Notre mission est d’aider nos partenaires à renforcer la résilience économique des exploitations familiales agricoles en les accompagnant dans une transformation durable de leurs systèmes de production. L’objectif est clair : améliorer la rentabilité des exploitations pour leur permettre de mieux faire face aux chocs climatiques, environnementaux et économiques.
Pour y parvenir, nous facilitons l’accès à des produits financiers adaptés, développons des solutions de gestion des risques (mécanismes de garantie, systèmes d’alerte précoce, limitation des pertes post-récolte), renforçons les capacités des exploitants via des formations ou de l’accompagnement, et améliorons l’accès à des marchés plus rémunérateurs.
Au Bénin, plusieurs de nos partenaires mettent déjà en place ces solutions avec des résultats probants.
« Renforcer l’innovation financière, la protection contre les risques et l’appui technique sont essentiels pour une agriculture béninoise plus résiliente et inclusive.»
Quels sont, selon vous, les principaux défis pour adapter les produits financiers aux besoins spécifiques de l’agriculture résiliente aux changements climatiques ?
Les IMF béninoises doivent surmonter plusieurs obstacles.
Premièrement, l’absence de couverture efficace des risques climatiques reste un problème majeur. Les crédits agricoles proposés ne tiennent souvent pas compte des aléas comme la sécheresse, les inondations ou les fluctuations de prix. De plus, l’accès à des assurances agricoles abordables et novatrices – couvrant, par exemple, les pertes de rendement liées au climat ou fournissant une information météorologique fiable – est encore très limité au Bénin.
Ensuite, la flexibilité des produits financiers et du cadre institutionnel des IMF représente un vrai défi. Les offres de crédit ne s’adaptent pas assez aux réalités changeantes des petits exploitations familiales, notamment parce que la majorité des financements restent à court terme. Cela freine les investissements dans des infrastructures ou des technologies durables, pourtant essentielles à l’adaptation.
Par ailleurs, le manque de ressources pour proposer des services de conseil et d’accompagnement freine l’impact des financements. Sans appui technique permettant d’adopter des pratiques agricoles résilientes (nouvelles variétés, techniques de production agroécologiques, stockage, transformation), l’accès au crédit fait rarement évoluer les pratiques sur le terrain.
Enfin, l’accès aux produits financiers adaptés reste difficile pour les populations vulnérables – femmes, jeunes et petits producteurs – qui manquent souvent de garanties, d’informations ou de solutions pensées pour leur situation.
Face à ces défis, renforcer l’innovation financière, la protection contre les risques et l’appui technique sont essentiels pour une agriculture béninoise plus résiliente et inclusive.
Comment ADA envisage-t-elle de collaborer avec les IMF partenaires et les autorités béninoises pour pérenniser les efforts de transition vers une agriculture plus résiliente ?
ADA collabore avec cinq IMF pour développer des approches globales qui visent à transformer l’agriculture familiale, favoriser des changements durables dans les pratiques de production et renforcer la viabilité économique des exploitations en améliorant leur rentabilité.
Pour pérenniser ses interventions, ADA collabore aussi avec des institutions étatiques et des structures nationales (ex. Fonds National du Développement Agricole). Ceci permet d’aligner les activités sur les priorités nationales, partager les résultats et assurer un cadrage institutionnel favorable à la réplication et au passage à l’échelle. Les autorités sont notamment impliquées dans la validation des modèles agricoles promus et la concertation sur les dispositifs d’accompagnement des petits producteurs, facilitant la diffusion de ces innovations à plus grande échelle.
Cette approche devrait permettre à terme d’atteindre plusieurs milliers de producteurs et de faire émerger, avec l’appui des partenaires locaux, une dynamique auto-entretenue de résilience agricole au Bénin.