« Il faut renforcer l’autonomie économique des femmes pour briser le cercle vicieux de la pauvreté »

18 septembre 2024 Interviews
Photo aurelie interview genre

Afin de renforcer son impact, ADA a identifié trois grands enjeux qui seront pris en compte dans l’ensemble de ses programmes dans les pays en développement. Il s’agit des changements climatiques et de la biodiversité, de l'égalité des genres et de l’utilisation des technologies digitales. Comment ADA s’y prend-elle concrètement ? Quels sont les défis ? Dans le cadre de la série « ADA relève le défi », nos expertes expliquent l’approche de ADA.


Partie 1: Interview avec Aurélie Soetens, chargée Gestion des connaissances et référente genre chez ADA

Pourquoi ADA a-t-elle décidé d’aborder la question de l’égalité des genres dans ses programmes ? 
 
Aujourd’hui encore, les femmes font face à de nombreuses contraintes et discriminations, qu’elles soient intentionnelles ou le fruit de l’intériorisation de normes sociales et culturelles (dites « normes de genre »), tant dans la sphère privée que dans la sphère publique.

Dans les pays en développement, ces contraintes liées aux normes de genre font que les femmes sont plus touchées que les hommes par des problématiques telles que l’accès à l’eau, l’accès à l’énergie ou l’insécurité alimentaire. Sur le marché du travail, leurs perspectives sont plus restreintes : souvent, elles travaillent dans l’économie informelle et leurs conditions de travail sont moins bonnes. Dans de nombreux pays, elles n’ont même pas accès à certains secteurs économiques.

Les contraintes rencontrées par les femmes découlent donc de normes de genre socialement construites qui dictent les rôles et les comportements socialement acceptables pour les femmes. Ces normes, souvent limitantes, entravent leurs possibilités d’accéder et de contrôler des ressources, y compris financières. 

Ces contraintes normatives se retrouvent ainsi au cœur d’un cercle vicieux : les inégalités entre les hommes et les femmes alimentent la pauvreté et la pauvreté, à son tour, renforce ces inégalités. Aujourd’hui, la lutte pour l’égalité des genres est considérée comme un prérequis dans la lutte contre la pauvreté. ADA, en tant qu’expert en finance inclusive, s'y engage en renforçant l’autonomie économique des femmes.

En termes d’inclusion financière, les normes et discriminations de genre peuvent entraver l’accès des femmes à des services et produits financiers, comme la possibilité d'ouvrir un compte bancaire ou de souscrire à une assurance. Elles créent aussi des contraintes en ce qui concerne l’utilisation de ces services et produits financiers. Ces contraintes d’accès et d’utilisation sont liées d’une part à l’offre et, d’autre part, à la demande.

Pour ce qui est de l’offre, on constate qu’aujourd'hui la plupart des institutions financières ne s'adressent pas correctement aux femmes. C’est-à-dire que les produits et les services financiers qu'elles offrent ne sont pas tout à fait adaptés à la réalité économique et sociale des femmes. L’exemple le plus courant est le crédit pour lequel il faut proposer une garantie sous forme de titre de propriété alors que les normes de genre (et parfois même les lois) dans certains pays ne permettent pas aux femmes de posséder des biens. 

Puis, il y a des contraintes liées à la demande qui proviennent de barrières structurelles rencontrées par les femmes. De façon générale, les femmes présentent des niveaux de scolarisation et d'éducation financière ou entrepreneuriale inférieurs à ceux des hommes. Cela entraîne des lacunes de connaissances et un manque de confiance en soi et en ses capacités. Par conséquent, non seulement la demande de produits et services financiers de la part des femmes est moins importante, mais leur utilisation est également entravée par ces inégalités.


Comment ADA envisage-t-elle de prendre en compte les inégalités entre les hommes et les femmes dans ses programmes afin de garantir un accès inclusif à toutes les personnes qui y participent ?

ADA travaille sur trois thématiques prioritaires : le renforcement des chaînes de valeur agricoles et forestières, l’entrepreneuriat des jeunes et l’accès aux services de base. Nous devons donc aborder non seulement les barrières liées à l’inclusion financière des femmes mais aussi les contraintes rencontrées par les femmes en lien avec chacune de ces thématiques.

Dans un premier temps, il est nécessaire de bien comprendre la population à laquelle nous nous adressons et les normes de genre en vigueur dans chaque contexte en particulier, afin d’identifier les contraintes spécifiques auxquelles les femmes font face. Ensuite, nous allons essayer de mettre en place des mesures spécifiques pour réduire ou éliminer les barrières identifiées dans l’accès et le contrôle des ressources financières, technologiques ou de production ; dans l’acquisition de compétences ; dans la prise de décision ; etc.

Chez ADA, nous avons défini un niveau minimum d’intégration des questions de genre qui comporte deux aspects principaux : d’une part, garantir un accès inclusif à toutes les personnes, hommes et femmes, aux activités qui sont mises en place grâce au projet, et d’autre part s’assurer que nos activités ne renforcent pas les inégalités de genre. La mise en œuvre de cette approche nécessite une analyse des risques.

Par exemple, dans le secteur agricole, en renforçant une filière, il existe un risque d’exclure les femmes des pratiques professionnalisées qui génèrent plus de revenus. Il faut donc prévoir des activités pour l’éviter. Si, par exemple, le renforcement de la filière requiert désormais l'utilisation d'une nouvelle technologie, il faut s'assurer que les femmes pourront y accéder financièrement et en termes de compétences, et que l’utilisation de cette technologie n’entraînera pas des représailles pour elles.

En ce qui concerne les produits financiers, il faut garantir que leurs conditions et caractéristiques les rendent accessibles aux femmes en termes d’accès et d’utilisation. Pour reprendre l’exemple de la garantie, si besoin il faut prévoir une garantie adaptée, par exemple la possibilité de mettre en garantie l’équipement que la femme utilise pour son activité. Pour éliminer les barrières liées à l’utilisation des services financiers, il faut également s'assurer que les femmes acquièrent les connaissances et les compétences requises pour utiliser ces services en prévoyant notamment des formations en éducation financière ou digitale. 

Dans le futur, ADA souhaite mettre en place des projets dont au moins un des objectifs vise à réduire ou éliminer les inégalités entre les hommes et les femmes. C’est ce qu’on appelle l'approche “gender responsive” qui permet d’ouvrir un espace de discussion par rapport aux normes de genre avec les bénéficiaires et l’ensemble des parties prenantes. Cette approche comporte une analyse des risques pour s'assurer que le projet ne nuit pas aux femmes et que les femmes n’en soient pas exclues, mais aussi des objectifs, des activités et des indicateurs d’égalité des genres pour vérifier les progrès réalisés.

Par exemple, au Togo, ADA a mené un projet-test avec l’organisation Lady Agri, qui visait à améliorer les conditions de travail des femmes actives dans la transformation du manioc et à leur permettre d’accéder à des marchés plus lucratifs, via l’amélioration des outils et processus de production, afin d’augmenter leurs niveaux de revenus. 

Quels sont les défis auxquels ADA fait face dans le cadre de l’intégration de la dimension genre dans ses activités ?  

Les contraintes rencontrées par les femmes en raison des normes de genre dépendent du contexte d’intervention. Parfois, elles se croisent avec d'autres types de discriminations basées sur l’âge, la religion, l'origine ethnique, le statut matrimonial, etc. Le défi c'est qu’il n’y a pas d'intervention standard à mettre en œuvre car il faut considérer plusieurs facteurs à la fois qui varient d’une population à l’autre. Lorsque nous analysons le contexte pour préparer notre intervention sur le terrain, nous devons identifier en priorité les barrières spécifiques sur lesquelles nous avons les capacités d’agir.

Un autre défi, c’est que “les femmes” ne sont pas une population homogène. Il faut bien comprendre à qui on s’adresse et pour cela, il peut être très utile de travailler en partenariat avec des organisations qui ont une bonne connaissance du contexte local et une expérience de travail sur les questions de genre en particulier.

Enfin, il est important d’intégrer d’une façon ou d’une autre les hommes dans toutes les interventions, mêmes celles qui visent exclusivement les femmes, au minimum via une sensibilisation initiale aux activités prévues et résultats attendus. Le fait pour les femmes d’obtenir un crédit ou d’augmenter leurs revenus peut engendrer une réorganisation du pouvoir au sein des ménages, ce qui peut provoquer du stress tant pour les hommes que pour les femmes, mais aussi des frustrations et parfois de la violence. Il s’agit donc d’être à l’écoute des femmes tout comme des hommes et d’encourager leur participation à l’échange et à la réflexion. Si nous voulons réellement nous donner les moyens d’engendrer un changement, il faut que l’ensemble de la communauté, hommes et femmes, se sentent impliqués et sereins face à l’intervention et à ses effets.