« Il fallait un appui continu pour parler de développement »
Il y a 25 ans, Mia Adams lançait l'idée de ADA - Appui au Développement Autonome - une organisation pour le développement qui fournirait un appui aux plus pauvres pour qu'ils puissent donner vie à leur projets. Nous l'avons interviewée.
C’est à vous que l’on doit la fondation de ADA le 11 mai 1994. Comment vous est venue cette idée ?
Avant ADA, j’étais déjà impliquée dans l’aide au développement, d’abord parce que j’ai eu la chance d’accompagner mon mari, alors fonctionnaire de la banque Mondiale, dans des projets en Afrique, puis j’ai travaillé dans le cadre de l’ONG Frères des Hommes. Je me suis alors rendue compte que l’aide « gratuite » sous forme de dons et de projets conçus par des donateurs créait plus d’habitués à recevoir de l’aide que des gens actifs, souhaitant changer réellement quelque chose dans leur vie. J’ai donc commencé par rédiger quelques articles dans des magazines pour faire passer un message, en disant : « il faut couper cette assistance ». Je n’étais pas à l’aise avec le fait de venir poser de l’argent sur la table en affirmant « on va faire tel projet », sans vraiment se poser la question de son appropriation par la population locale.
Ces faits sont à l’origine de la création de ADA – Appui au Développement Autonome – en mai 1994, une organisation qui se voulait, et le nom le dit bien, un appui, c’est-à-dire un accompagnement dans le temps des projets dont les gens avaient besoin et que eux-mêmes voulaient réaliser. Nous sommes alors passés d’une population assistée à une population active, acteurs de leur propre développement. C’était une manière de responsabiliser les gens, de créer une dynamique venant d’en bas et non pas imposée d’en haut. ADA devait fonctionner comme facilitateur par un appui de l’extérieur, à la fois financier, logistique et par des conseils et formations. Cela impliquait pour ADA d’écouter les gens, de bien étudier leur situation avant d’entamer une collaboration. Ceci imposait une rigueur professionnelle, une expertise, de notre part.
Les problèmes de développement sont multiples : pour être efficace, il faut se spécialiser. ADA a choisi la microfinance. Ma formation professionnelle d’économiste m’a aidée dans cette analyse. La microfinance impose un travail continu d’analyse et de partage. Dès la première année, grâce à l’esprit d’ouverture du gouvernement luxembourgeois, ADA a publié un périodique d’analyse et de réflexion en microfinance intitulé « Dialogue ». Chaque année, ADA a organisé des séminaires de réflexion avec des organisations du Sud et des organisations spécialisées en microfinance en Europe et ailleurs.
Très vite, ADA a su s’insérer dans des réseaux internationaux en microfinance tels que le Microcredit Summit, CGAP, WWB, USAID, Accion, Novib etc. Ceci lui a permis d’enrichir son savoir-faire et de créer des liens. Pour activer les échanges d’expertise, ADA a créé un centre d’étude, d’analyse et de documentation nommé CEREMLUX (Centre de Recherches et d’Etudes en Microfinance à Luxembourg). Ensuite, pour parler de développement, il fallait fournir un appui continu. Or un projet de 4 ans ne mène nulle part. Les premières années, nous avons commencé comme les autres avec de petits projets qui se suivaient, à la différence qu’il y avait une continuité dans nos projets. L’idée d’un développement progressif et continue suppose un accès permanent aux moyens financiers. Afin de faciliter cet accès, ADA a lancé un programme pilote de garanties bancaires permettant à la fois de familiariser le secteur bancaire luxembourgeois avec la microfinance et de favoriser l’accès aux partenaires du Sud aux financements de leurs banques locales.
Quelques années plus tard, nous avons lancé, avec le gouvernement luxembourgeois et la BIL, un premier fonds d’investissement : LUXMINT.
La microfinance était peu connue à l’époque. Comment avez-vous fait pour imposer votre idée ?
A ce moment-là, la microfinance n’existait pratiquement pas, surtout pas à Luxembourg. Les gens n’entendaient pas que les pauvres puissent rembourser un prêt, c’était perçu comme malhonnête. II y avait cette idée préconçue que les pauvres ne savent rien faire, qu’ils ne sont pas capables, donc ils doivent recevoir de nous qui sommes beaucoup plus riches et développés. Au début donc, j’ai dû me battre pour faire évoluer les mentalités. J’ai fait des expositions pour porter un message : « la pauvreté n’est pas une fatalité ». Sous-entendu, les pauvres peuvent se prendre en main, être responsables et actifs. Nous écrivions beaucoup d’articles sur la microfinance. Notre bulletin « Dialogue » nous en donnait la possibilité. Cela nous a fait énormément de publicité à l’extérieur, on donnait l’impression d’être une grande organisation. Notre participation au Microcredit Summit lors de sa création avec Muhammad Yunus, ainsi qu’au CGAP – encore jeune organisation à l’époque – et d’autres réseaux, nous ont bien aidées pour nous faire accepter à Luxembourg et pour renforcer notre expertise dans le domaine de la microfinance. Pour l’organisation des séminaires, plusieurs banques et la Banque européenne nous ouvraient grand leur porte. Les gens qui venaient y assister de l’étranger se disaient que ça devait être sérieux. Surtout, nous sommes restés professionnels. J’ai toujours dit que nous avions deux pieds au niveau de l’organisation : premièrement, faire des actions de développement sur place ; deuxièmement, réfléchir, analyser et renforcer notre expertise, afin de voir dans quelle mesure on peut améliorer notre efficacité d’appui aux partenaires « Sud ». ADA a toujours gardé ce fil conducteur.
Quelles ont été les premières réflexions à la création de ADA, les premiers projets ?
Le premier projet a échoué, c’était un projet de fonds de roulement pour des pêcheurs au Mali près de Kayes. En me rendant sur place, je me suis rendue compte que l’argent destiné au projet avait été détourné. ADA leur a donc demandé de rembourser. Certes c’était difficile, mais je souhaitais rester sur le principe que nous avions adopté, à savoir rendre les gens responsables. Cela nous a fait comprendre qu’il est très difficile de travailler avec les petits micro entrepreneurs eux-mêmes. Donc à partir de ce moment-là, ADA a choisi de passer par des organisations intermédiaires, des IMF ou des coopératives pour mener à bien les projets.
ADA a commencé ses activités avec 300 000 francs luxembourgeois (7 500€ environ), c’était peu. Il fallait donc multiplier les fonds. Nous avons donc commencé par de petits projets pour récolter des fonds propres, afin de pouvoir poursuivre avec des projets plus importants. Le projet de garantie bancaire en est un exemple. L’idée des garanties était tout à fait nouvelle, mais elle permettait d’intégrer les banques luxembourgeoises dans la dynamique de la microfinance et de familiariser nos partenaires « Sud » avec le secteur bancaire local. Ça a été bien reçu par la BIL et par le gouvernement. Nous avons fait un projet pilote pour la garantie bancaire avec 4 organisations : RCPB (Burkina), Kafo Jiginew (Mali), FIE (Bolivie) et ProEmpresa (Pérou). Nous avons donc déposé un fonds de 8 millions auprès de la BIL à Luxembourg, à hauteur de 2 millions par organisation, dans lequel participaient le gouvernement luxembourgeois et ADA. La BIL nous donnait à ce moment-là un intérêt assez conséquent sur le fonds placé. Et avec ce fonds, la BIL nous faisait 4 lettres de garantie. ADA a su accompagner les partenaires pour négocier avec les banques sur place un crédit avec un effet multiplicateur. A la fin, nous avons eu un multiplicateur de 10.
Votre action était-elle bien accueillie par le gouvernement luxembourgeois ?
ADA était bien reçue par le gouvernement puisqu’elle venait avec un projet novateur et intéressant à appuyer. A Luxembourg, nous avions aussi l’avantage d’être dans un milieu financier. Par son approche professionnelle, ADA n’a pas eu de problème pour s’imposer. La reconnaissance de ADA au niveau des réseaux internationaux a certainement été favorable. Mais il y avait d’un autre côté la réaction des autres ONG qui étaient très attachées encore à ces donations et qui nous critiquaient, notamment lors de réunions ou d’interviews à la radio parfois très dures.
Quels ont été les premiers partenaires clés avec qui ADA a collaboré ?
Les premiers partenaires étaient situés au Mali (Kafo Jiginew), au Burkina Faso (FCPB), en Namibie, en Afrique du Sud, en Bolivie (FIE) et au Pérou (ProEmpresa). Au niveau des échanges d’expériences et d’expertise, il y a eu tant de personnes qu’il est difficile de les nommer toutes : Dominique Lesaffre de Rafad, actuellement SIDI, était un ami et conseiller précieux. Aussi Kimanthi Mutua, PDG de K-Rep Group Limited au Kenya. Nous n’avons jamais eu de projets ensemble car K-Rep était trop important par rapport aux fonds que ADA pouvait mettre. Néanmoins, nous avons eu énormément de séminaires, de discussions et d’analyses ensemble. Sans oublier Damian Von Stauffenberg de MicroRate, etc.
Quel était l’état du secteur lorsque vous avez quitté ADA ?
Lorsque j’ai quitté ADA, la microfinance était bien introduite à Luxembourg. Certaines grandes ONG avaient commencé à faire des crédits, sur le même principe que ADA. Nous n’avions aucun problème à recevoir des fonds du gouvernement. Notre réputation à l’étranger comme à Luxembourg était solide. Avant mon départ, Axel de Ville a été bien préparé pour prendre la relève. Maintenant que ADA est bien plus grande, je ne peux que me réjouir du chemin parcouru et me dire « j’ai eu raison de relever ce défi ».
Interview par Elodie Renard