« ADA reste à l’écoute des besoins spécifiques des utilisateurs afin de pérenniser l’utilisation des solutions digitales »

18 décembre 2024 Interviews
photo Catherine

Cette interview fait partie de la série « ADA relève le défi » qui montre comment ADA intègre trois grands enjeux dans l'ensemble de ses programmes : l'égalité des genres, les changements climatiques et la biodiversité, et l'utilisation des technologies digitales.

Partie 3 : Interview avec Catherine Liziard, chargée de programmes et référente technologies digitales

ADA constate que la finance inclusive repose de plus en plus sur des solutions digitales. Comment aborde-t-elle la question des technologies digitales dans le cadre de ses programmes de développement ?

ADA intègre les technologies digitales dans ses programmes pour mieux répondre aux besoins des populations éloignées géographiquement ou ayant un accès limité aux services financiers traditionnels. Cette démarche est présente dans nos trois grands axes thématiques : l’entrepreneuriat des jeunes, les chaînes de valeur agricoles et forestières, et l’accès aux services de base.

Sur les chaînes de valeur agricoles, nous promouvons par exemple l’accès à des plateformes digitales pour renforcer les liens entre les différents acteurs (producteurs, transformateurs et commerçants). Ces plateformes peuvent faciliter les échanges d’informations, l’accès au financement et l’ouverture à de nouveaux marchés. Une de nos initiatives, la plateforme F2.0 au Sénégal, facilite la gestion des crédits accordées par les institutions de microfinance (IMF) aux petits producteurs et à leurs coopératives afin de financer l'achat d'intrants et la gestion des stocks de manière efficace et rentable.

En ce qui concerne l’entrepreneuriat des jeunes, les technologies digitales peuvent favoriser le renforcement des compétences par un accès facilité à des formations en ligne, la gestion de leur entreprise avec des outils de gestion en ligne, l’accès à des nouveaux marchés avec des solutions simples comme WhatsApp ou des plateformes de vente en ligne qui permettent de dynamiser l’activité des jeunes entrepreneurs.

Pour l’accès aux services de base, nous soutenons des solutions comme le "pay-as-you-go"(le client paye en fonction de sa consommation), qui facilitent l’accès aux énergies renouvelables pour les ménages à faibles revenus.

Cependant, nous savons que ces solutions ne peuvent être efficaces qu’en tenant compte des réalités locales. La fracture numérique est un défi majeur dans les pays où nous intervenons. Parfois, les populations n’ont pas accès à l’électricité, à Internet ou à des smartphones. Cette fracture touche plus particulièrement les femmes, qui sont souvent moins équipées et moins connectées que les hommes. 

Il est aussi important de considérer les défis liés à l'analphabétisme dans les projets de digitalisation. C’est pourquoi nous intégrons systématiquement des formations et un accompagnement adapté aux besoins des utilisateurs, qu’il s’agisse de particuliers, d’entreprises ou de coopératives.

ADA reste donc attentive aux besoins spécifiques des utilisateurs, car nous voulons non seulement confirmer l’adhésion à la solution proposée, mais aussi s’assurer qu’elle est adoptée durablement. 

Pour les IMF, l'intégration des solutions digitales et l'authentification des clients représentent les principaux défis opérationnels.

En Afrique de l’Ouest, le téléphone est couramment utilisé pour les paiements et les transferts via un porte-monnaie électronique, généralement gérés par un opérateur télécom, sans lien avec le compte des clients de l'IMF. Nous accompagnons donc des IMF pour opérationnaliser le canal de distribution alternatif Wallet to Bank / Bank to Wallet (W2B / B2W) pour leur permettre de relier le compte du client dans l'IMF à son porte-monnaie électronique auprès d'un opérateur télécom. 

La question de l’identification unique de l’utilisateur dans différents systèmes est également cruciale pour faciliter l’accès aux services financiers. Par exemple, au Bénin, le gouvernement a lancé un projet d’identification unique mais il faut s’assurer que les populations vivant en zones rurales aient aussi accès rapidement à ce processus.

Quels sont les avantages de l’introduction de solutions digitales pour les IMF et les clients? 

Pour les IMF, la digitalisation permet de rationaliser les opérations : réduction des coûts, amélioration des processus, maîtrise des risques et élargissement de leur portée géographique. Par exemple, numériser des tâches comme la collecte d'épargne ou le processus de crédit réduit les erreurs et fluidifie les traitements.

Un exemple concret est le projet que nous avons réalisé avec l’IMF Coopec-Sifa au Togo entre 2017 et 2021 dans le cadre du programme Digital Finance Initiative (DFI). Avant le projet, les clients de Coopec-Sifa étaient limités à leur agence d’origine pour effectuer des transactions. Grâce à l’interconnexion du réseau d’agences, ils peuvent désormais opérer depuis n’importe quelle agence. 

De plus, les agents de terrain de Coopec-Sifa ont été équipés d’une « caisse mobile » installée sur une tablette pour enregistrer directement les opérations financières lors des réunions de groupe sur le terrain. Cela a permis d’accroître l’encours d’épargne grâce à l’identification unique des clients dans le système d’information, de réduire les erreurs et d’améliorer les traitements et le suivi des opérations.

Quant aux clients, les technologies digitales leur permettent d’économiser du temps et de l’argent en évitant des déplacements, parfois longs et coûteux, jusqu’aux agences. Les délais de traitement des demandes de crédits peuvent aussi être réduites grâce à des solutions digitales.  

Cependant, pour s’assurer de l’adhésion du client, les IMF doivent également réfléchir à tous les services annexes liés à l’utilisation des solutions digitales. Par exemple, en cas de défaillances, le processus de réclamation doit être accessible aux clients à tout moment, sans se limiter aux plages horaires d'ouverture de l'agence. L’IMF doit également mettre en place un plan de communication et de sensibilisation. Il est donc nécessaire pour l’IMF d’avoir une approche globale pour des projets digitaux, incluant des services de formation et de protection des clients pour accompagner le changement. L’IMF doit aussi élaborer un plan de continuité de ses activités en cas de défaillance de la solution digitale. Le risque est de se focaliser uniquement sur la solution d’un point de vue technique. 
 
L’utilisation des solutions digitales implique aussi parfois des coûts pour les clients. Les IMF doivent communiquer clairement à leurs clients pour démontrer que ces frais sont compensés par les gains en temps et en déplacements, et des risques limités. 

Enfin, il est important de souligner que les outils digitaux ne remplacent pas la relation humaine qui existe entre les agents de l’IMF et leurs clients. Les solutions digitales facilitent les transactions et les processus, mais la confiance se construit par un dialogue direct.

 

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technologies digitales

Comment ADA accompagne ses partenaires face aux risques liés à l’utilisation des technologies digitales?

L’introduction de technologies digitales dans la finance inclusive s’accompagne inévitablement de nouveaux risques. 

Un des principaux risques est la conformité réglementaire, notamment pour le stockage et la protection des données personnelles. Dans certains pays, les données doivent être hébergées localement, ce qui nécessite des adaptations techniques et des partenariats solides avec les fournisseurs de services. Nous veillons également à respecter les normes du KYC (Know Your Customer) et du e-KYC pour garantir la transparence et la sécurité des transactions dans les projets incluant des solutions digitales. 

Un autre défi majeur dans la mise en place de solutions digitales est la résistance au changement. Les agents et les clients des IMF peuvent être réticents à adopter des outils digitaux, soit par manque de familiarité, soit par crainte de perdre leurs emplois, soit par crainte de fraude. Notre accompagnement vise aussi à sensibiliser et faciliter l'appropriation des nouvelles technologies. 

La cybersécurité est également un enjeu crucial. Les systèmes digitaux sont exposés aux cyberattaques et aux fraudes, ce qui peut nuire à la réputation des IMF et compromettre la sécurité des clients. L'accompagnement de ADA prend en compte ces nouveaux risques dans ses collaborations.

La durabilité d'un outil digital pour une IMF nécessite une anticipation budgétaire incluant des coûts récurrents de maintenance, de mises à jour, d’hébergement des données et de frais associés. Le risque est que l’IMF ne puisse pas couvrir les coûts d’utilisation de la solution digitale dans le temps. L’élaboration d’un business plan est donc cruciale avant le lancement du projet.  
 
Un autre point concerne les algorithmes de notation de solvabilité des clients (« scoring »). Ces systèmes requièrent des tests rigoureux et réguliers pour éviter des erreurs pouvant exclure injustement des clients du système financier, comme observé au Kenya où des algorithmes mal calibrés ont bloqués abusivement des clients pour contracter de nouveaux crédits.

Dans le cadre de ses programmes, ADA accompagne ses partenaires dans la gestion de ces nouveaux risques en travaillant avec des experts et en sensibilisant les utilisateurs aux bonnes pratiques numériques.