
Interview: Face aux mutations mondiales, ne pas laisser les plus fragiles de côté

Interview avec Mathilde Bauwin, Responsable Gestion des connaissances chez ADA sur la conférence de la SAM 2025
Cette année, la SAM mettra l'accent sur la nécessité de se recentrer sur les personnes vulnérables pour relever les défis à venir en matière de finance inclusive. Pourquoi ce choix et en quoi est-il particulièrement pertinent pour l'Afrique aujourd'hui ?
Les sociétés et économies actuelles, en Afrique comme ailleurs, traversent une succession de bouleversements – évolutions politiques, impacts des changements climatiques, conflits, transformations technologiques. Ces évolutions exigent souvent des réponses rapides à l’échelle des sociétés, des institutions et des secteurs, qui tendent à laisser peu de place à la réflexion sur leurs conséquences pour les populations les plus vulnérables, et sur la manière de ne pas les laisser de côté.
C’est pour cette raison que la SAM a choisi cette année de remettre les utilisateurs finaux de la finance inclusive au centre des discussions. Les mutations en cours affectent directement le secteur : l’intelligence artificielle va inévitablement transformer l’offre de services financiers, les changements climatiques représentent un risque croissant pour la stabilité des institutions financières. Le danger est alors de concentrer l’attention uniquement sur les adaptations nécessaires au niveau sectoriel, en négligeant l’impact de ces évolutions sur les clients finaux.
En replaçant ces derniers – et tout particulièrement les plus vulnérables – au cœur de la réflexion, la SAM entend rappeler que la finance inclusive ne peut pleinement jouer son rôle qu’en tenant compte des réalités vécues par celles et ceux qu’elle cherche à servir.
Le programme démarre avec des sessions sur l’évolution des besoins des populations vulnérables. Quelles sont les principales tendances que vous observez ?
C’est justement l’un des questionnements centraux de la SAM : quels sont aujourd’hui les besoins des clients actuels ou potentiels de la finance inclusive, et comment évoluent-ils face aux mutations en cours ? Plus que les réponses définitives, c’est l’exercice même de ce type de questionnement qui est essentiel : il s’agit de rester constamment attentif aux besoins réels et changeants des populations vulnérables. C'est ce que va tenter d'encourager la SAM.
Malgré tout, on peut anticiper quelques discussions sur ce sujet. La persistance et multiplicité des conflits se traduit par des migrations forcées ou volontaires qui accroissent la demande pour des services financiers les conditions d'accès et d'utilisation doivent être flexibles et adaptées à l’instabilité. Ce besoin n’est peut-être pas nouveau, mais son ampleur et son urgence grandissantes le sont peut-être.
De la même façon, face à la pression climatique qui s'exerce sur les petits producteurs agricoles, leurs besoins en financements adaptés deviennent plus pressants, en particulier pour financer la transition vers des pratiques plus résilientes. Il ne s’agit donc pas seulement d’accéder au crédit pour financer une campagne agricole, mais de disposer de financements de plus long terme pouvant absorber les pertes potentielles dues à un changement de mode de production.
L'émergence de nouveaux profils d’utilisateurs de services financiers peut également amener de nouveaux besoins. La croissance de la gig economy ("économie des petits boulots"), par exemple, se traduit par celle du nombre de travailleurs indépendants opérant via des plateformes digitales. Ces acteurs nécessitent une gamme de services financiers également digitaux – comptes courants, épargne mais aussi solutions de paiement et de gestion des transactions – adaptés à la nature de leur activité.
Enfin, selon le dernier rapport FinDex 2025, malgré des progrès notables en matière d'inclusion financière, une part de la population reste toujours exclue des services financiers. Il s’agit sans surprise des personnes les plus pauvres, des populations rurales isolées, et dans certaines régions du monde, des femmes. Si ces populations restent à l’écart, c’est sans doute que leurs besoins spécifiques ne sont pas encore suffisamment compris. Dans ce cas, c’est l’offre qui doit évoluer et innover pour mieux les atteindre.
Les prestataires de services financiers sont confrontés à de nombreux défis : l'innovation technologique, l'évolution de la réglementation et la protection des clients. Quelles réflexions la SAM souhaite-t-elle susciter dans ce contexte ?
En effet, les prestataires de services financiers doivent aujourd’hui composer avec une combinaison de défis majeurs, parmi lesquels innovations technologiques et évolutions réglementaires, qui les amènent à transformer leur manière d’opérer. En cohérence avec le thème central de cette année, l’édition 2025 de la SAM souhaite se concentrer en particulier sur les conséquences de ces évolutions pour les utilisateurs finaux.
Par exemple, l’intégration de l’intelligence artificielle dans l’offre de services financiers permettra-t-elle une meilleure personnalisation et une plus grande accessibilité, ou risque-t-elle au contraire d’exclure encore davantage les populations les plus éloignées du digital ? Comment maintenir un juste équilibre entre solutions technologiques et interactions humaines pour renforcer l’inclusion plutôt que creuser les écarts ?
De la même façon, si une réglementation plus exigeante peut contribuer à professionnaliser et stabiliser le secteur, elle peut aussi fragiliser certaines petites institutions financières dans l'incapacité de s’y conformer. Or, leur disparition éventuelle poserait la question de l’accès aux services financiers pour leurs clients – souvent parmi les plus vulnérables.

La SAM vise ainsi à stimuler une réflexion collective : comment faire en sorte que les nécessaires transformations technologiques et réglementaires se traduisent par davantage d'inclusion financière, et non par de nouvelles formes d’exclusion ?
Le financement reste un enjeu clé pour les prestataires de services financiers. Comment le programme de la SAM met-il en lumière le lien entre financement et besoins des clients vulnérables ?
Comme pour les évolutions technologiques ou réglementaires, les modèles de financement du secteur de la finance inclusive peuvent avoir un impact direct – positif ou négatif – sur les populations vulnérables. Les priorités fixées par les financeurs, publics ou privés, peuvent jouer un rôle déterminant : lorsqu’elles sont claires et ciblées, elles peuvent inciter les institutions financières à mieux servir certains groupes de population, à condition que des financements adaptés soient mis à leur disposition pour y parvenir. Par exemple, les institutions financières ne pourront financer la transition vers des pratiques plus résilientes pour les petits producteurs agricoles que si elles ont elles-mêmes accès à des financements de long terme. La SAM sera ainsi l'occasion de débattre des modèles de financement qui favorisent réellement l’inclusion : instruments innovants, mécanismes de partage ou de réduction des risques, ou encore solutions d’accès au capital local pour les prestataires de services financiers.
Mais répondre aux besoins des plus vulnérables ne passe pas uniquement par le financement des institutions financières qui servent directement ces populations. Il s’agit aussi de soutenir d’autres intermédiaires, tels que les banques locales qui pourront elles-mêmes financer fournisseurs directs de services financiers, ou encore petites et moyennes entreprises qui fournissent des services essentiels destinés à ces populations. C’est en agissant à différents niveaux de la chaîne de financement que l’on peut mieux répondre à la diversité des besoins des personnes vulnérables, et c'est cette vision d'un secteur financier plus inclusif que souhaite promouvoir la SAM.
Quels bénéfices concrets les participants peuvent-ils retirer de leur présence à la SAM 2025 ?
En participant à la SAM 2025, les visiteurs auront l’occasion d’écouter et d'échanger avec une grande diversité d’acteurs représentant toutes les facettes de la finance inclusive en Afrique, venus s'exprimer sur les dernières évolutions du secteur, partager des expériences concrètes et débattre de solutions pour renforcer l’inclusion financière au service des populations vulnérables.
Les participants devraient ainsi repartir avec une compréhension plus fine de l’état du secteur et des tendances émergentes, mais aussi avec de nouvelles idées et sources d’inspiration issues de réussites comme d’expériences plus difficiles. La SAM est également un lieu privilégié de mise en relation, où tout participant aura l'occasion de développer son réseau et d'identifier de potentiels partenaires. Autant d'outils utiles pour contribuer, chacun à son échelle, aux avancées de l'inclusion financière.
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